Une bourgade de 1.200 habitants perdue au milieu d’un canyon du nord du Mexique ciblé par les narcos. C’est dans ce décor guère accueillant, à Urique, que se déroule depuis 18 ans l’une des courses d’ultra-trail les plus fascinantes au monde. Rien que son nom, l’Ultra Caballo Blanco, donne une dimension « Keyser Söze » à une épreuve de 80 km et environ 1.500 inscrits rendue célèbre par l’écrivain américain Christopher McDougall. Avec son passionnant Born to run, publié en 2009, celui-ci raconte sa plongée au sein des Tarahumaras, peuple amérindien « qui a les pieds légers ».
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Comprendre qu’ils sont capables de concurrencer sur leurs terres certains des meilleurs traileurs de la planète en portant des sandales pour le moins rudimentaires sur l’intégralité de la course. Une histoire incroyable qui n’a pas échappé à Patrick Salmon. Ce chercheur médical en thérapie génique, installé à Genève, organise dimanche en Savoie la troisième édition de son « mini-Caballo Blanco ». A savoir deux formules de 5 et 12 km (1.100 m de dénivelé positif) à Champagny-en-Vanoise (Savoie), réservées aux curieux de la course à pied en sandales, voire pieds nus.
« Si on ne veut pas être blessé, il faut avoir le moins d’amorti possible »
Le Trail des Pieds Légers (TPL) attire chaque été une vingtaine de personnes venant découvrir un documentaire consacré aux Tarahumaras (vendredi), apprendre à fabriquer des sandales de fortune huaraches (samedi), puis se lancer sur les sentiers de la Vanoise pour une initiation collective. Il est davantage question ici de « mode de vie » que de véritable course avec chrono et classement. Juste après avoir dévoré Born to run en 2012, Patrick Salmon est tellement convaincu par la pratique « la plus légère possible » de son sport qu’il achète sur un coup de tête le domaine barefootpat.org sur Internet.
Celui qui a bouclé trois ans plus tôt son premier marathon à Chicago en moins de 4h30, avec un étonnant rythme rigoureusement tenu de 10 minutes courues-1 minute marchée, explique sa conversion aux sandales. « Si on n’a pas de problèmes physiques avec ses grosses chaussures de courses, il ne faut rien changer, indique-t-il. Mais dès qu’on commence à avoir des douleurs, des ampoules, il est peut-être temps de passer aux chaussures minimalistes. Si on ne veut pas être blessé, il faut avoir le moins d’amorti possible, avec des pieds les plus libres de leurs mouvements possible, pour qu’on reprenne instinctivement le geste qui permet d’amortir l’impact. »
« Inconcevable d’être performant sans chaussures de sport »
La métamorphose n’est évidemment pas venue du jour au lendemain pour Patrick Salmon, qui a commandé ses premières sandales de course chez un fabricant situé dans le Colorado. « J’essayais de voir si je pouvais devenir un Tarahumara, sourit-il. C’était quand même ambitieux car j’ai mis un an rien que pour trouver le bon laçage. » En 2014, ce pharmacien de formation, désormais âgé de 62 ans, boucle son premier marathon « avec les pieds légers » à Paris en 4h27. Un temps comparable à ses meilleures prestations avec des chaussures de sport. En 2016, il signe même son record sur un marathon, à Lyon, en 4h08, toujours avec « des chaussures minimalistes ».
Pareille amélioration de chrono significative pourrait-elle titiller aussi le monde de la course élite ? « Je ne recommande quand même pas les sandales sur un trail long, où on ne sait pas ce qu’on va trouver, surtout pour les parties en descente », nuance Patrick Salmon. Coureur élite au sein du Team Matryx, le Lyonnais Baptiste Chassagne (27 ans) est formel : « Mon coach me conseille de marcher pieds nus dès que je peux en vacances pour développer des pieds robustes. Mais quand je vois les terrains abrasifs et techniques de nos courses, il me semble inconcevable d’être performant sans de vraies chaussures de sport ».
Le « bijou technologique » conçu pour Kilian Jornet
Après avoir battu le très prisé record de Sierre-Zinal (Suisse, 31 km et 2.200 m de dénivelé positif) en août 2019 avec des Salomon S/Lab Pulsar conçues pour (et avec) lui, Kilian Jornet a bien annoncé : « Ces chaussures sont tellement légères, c’est comme si vous n’aviez rien aux pieds. » Mais ce « bijou technologique » de Salomon, tout comme la fameuse Nike Vaporfly en carbone, possède évidemment une véritable semelle de chaussure de sport. Non, le « minimalisme » n’a pas (encore) percé dans le trail de haut niveau, mais il a séduit plusieurs amateurs de la course créée en 2019 à Champagny.
Chercheur en pneumologie à Genève, Aurélien Bringard (42 ans) fait partie de ceux-là, après avoir « multiplié les tendinites » durant une quinzaine d’années dans le circuit « classique » de la course à pied. « Je portais des semelles orthopédiques au quotidien, comme la plupart des gens qui couraient beaucoup dans les années 1990-2000, se souvient-il. On ne remettait alors jamais en question ce système des chaussures avec un gros amorti. »
« Je préfère miser sur les sensations que sur les performances »
Et ce jusqu’à sa découverte il y a dix ans des « chaussures minimalistes », à commencer par ces curieuses Vibram Fivefingers, dans lesquelles les cinq orteils sont séparés. « C’est très léger, très dynamique, mais je me suis fait une fracture de fatigue au bout de trois semaines », sourit Aurélien Bringard, qui met un an avant d’être capable d’effectuer une sortie de 15 km. Tant qu’à faire, il opte pour des pieds entièrement nus lors de ses runs. « Quand on court à 10 km/h, pieds nus, on ressent une foulée si légère qu’on a l’impression de carburer à 20 km/h », résume-t-il, remarquant aussi que l’avant de ses pieds s’est élargi depuis cette nouvelle pratique.
Une vie sans chaussure qu’il adopte aussi pour randonner. « On voit bien que certains athlètes prennent plaisir à escalader sans chaussure, indique l’intéressé. Là, je passe partout entre les cailloux et il m’arrive de suivre ainsi des amis à 2.500 m d’altitude dans la montagne. L’inconvénient, c’est la descente où je mets nettement plus de temps qu’en montée. » D’autres aléas compliquent l’aventure, comme des bouts de verre régulièrement plantés dans le pied ou des orteils meurtris après s’être écrasés contre une pierre. Ne comptez pas sur Aurélien Bringard pour remettre en question son choix de vie pour autant :”On prend le risque de se faire de petits bobos mais on se met à l’abri des blessures aux genoux et aux hanches qui arriveraient à l’âge de 60 ans, après toutes ces saisons avec de grosses chaussures aux pieds.” Il poursuit :
Je préfère miser sur les sensations que sur les performances. Mais la plupart des gens ne sont pas prêts à voir leurs chronos diminuer pendant quelques mois, le temps que les organismes s’adaptent. »
Une vision « libre et pure » de la course à pied ?
La Suissesse Aurélie Hintermann (33 ans), qui sera aussi de la partie dans la Vanoise ce week-end, assure ne plus souffrir de la moindre blessure depuis son passage aux chaussures minimalistes en 2013. « Ça apprend à courir juste et naturellement pour ne pas se bousiller les articulations, confie-t-elle. C’est comme courir en mode yoga. Il n’y a pas que le cardio et le chrono, il faut apprendre à écouter son corps. En partageant ces méthodes-là, on peut très bien faire courir des gens qui ne s’en croient pas capables. »
En marge de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB) 2015, Patrick Salmon a pu se balader en sandales avec Scott Jurek, une référence américaine du trail ayant participé à l’édition 2006 de l’Ultra Caballo Blanco retracée dans Born to run. Un témoin privilégié de ces Tamahuaras « à la vision libre et pure de la course à pied », comme les qualifie Baptiste Chassagne.
Douze ans après la sortie du livre, Patrick Salmon, le plus taramuhara des Français, a un vœu pieux : « Peut-être qu’un jour, les gens vont arrêter de nous considérer comme des fous ».