Allocation rentrée : Pourquoi parle-t-on toujours de l'argent des personnes précaires ?

C’est bientôt la rentrée scolaire, et l’heure est donc venue de subir la polémique annuelle sur l’allocation rentrée.Comme chaque fin d’août, des personnes redoutent que les familles bénéficiaires de cette allocation l’utilisent pour de mauvais achats, et non pas pour les fournitures scolaires.Pourquoi tant de personnes s’imaginent mieux gérer le budget des personnes précaires que les personnes précaires elles-mêmes ?

Chaque fin août, des signaux qui ne trompent pas attestent que l’été touche à sa fin : la nuit tombe plus tôt, Magic System ne passe plus à la radio, les mojitos sont remplacés par les cafés et on subit  la polémique aussi inévitable que stérile sur l’utilisation de l’allocation de rentrée scolaire. Polémique qui tourne chaque année autour du même fantasme :  ces familles précaires se serviraient de l’allocation rentrée pour acheter tout sauf des fournitures scolaires. Ce sont cette fois les Grandes Gueules de RMC qui ont ouvert le bal de ce « débat » par l’intermédiaire du chroniqueur gastronomique Périco Legasse.

Pour le débunk rapide, les deux enquêtes de la CAF les plus récentes sur le sujet, respectivement en 2013 et 2002, attestaient bel et bien que oui, les familles bénéficiaires de l’allocation rentrée s’en servent très majoritairement pour acheter des fournitures scolaires ou payer certains frais de scolarité comme la cantine, et n’en profitent pas pour acheter des téléviseurs écran plasma, des Ferrari ou un voyage aux Maldives. Si jamais vous en doutiez. Une évidence et des faits qui interrogent quand même sur pourquoi on doit subir cette polémique à chaque début de rentrée ?

L’idéal d’un monde juste

L’idée derrière ce postulat, c’est que les personnes précaires ne savent pas gérer leur argent. Pour Sylvain Max, psychologue social et enseignant chercheur à l’université de Burgundy School of Business en psychologie économique, « il y a un biais de croyance en un monde juste, qui fait qu’on pense que les gens méritent ce qui leur arrive. En l’occurrence, si les personnes sont précaires, c’est parce qu’elles ne sauraient pas tenir un budget ou feraient des dépenses inutiles. » D’où les craintes de voir les bénéficiaires de l’allocation rentrée s’en servir pour autre chose et d’où la multitude de commentaires pensant mieux gérer le budget des personnes précaires que les personnes précaires elles-mêmes.

Ce biais du monde juste permettrait également de se rassurer sur nous-mêmes : si nous sommes aisés, ce n’est pas parce que nous sommes nés dans la bonne famille avec le bon capital culturel ou que notre arbre généalogique est peuplé de médecins et d’ingénieurs, mais parce qu’on sait gérer notre budget ! « Si les pauvres méritent d’être pauvres, je mérite moi aussi ma situation. C’est un statu quo plaisant pour l’ego », appuie le psychologue.

Pas de vague

Des propos que valide Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités : « Peut-être que les gens qui prennent autant de temps à commenter l’argent des personnes précaires n’assument pas leur situation et leur fortune, et veulent que chacun soit responsable de ce qui lui arrive. »

Ce postulat bien pratique évite de nombreuses remises en question. Si des personnes sont dans la précarité par leur faute, ce n’est pas la peine de se battre pour elles, puisqu’elles n’ont au final que ce qu’elles méritent. Au contraire, si elles ne méritent pas leur situation, cela donne une injustice pour laquelle on ne lève pas le petit doigt. En un mot, « c’est tranquillisant de penser que les personnes précaires sont responsables de leur situation », confirme Sylvain Max. Dormir sur ses deux oreilles au lieu d’ouvrir les yeux, en somme.

Une fixette sur les précaires, vraiment ?

Après ces premiers paragraphes au vitriol, place à un peu de nuance. Sans aller dans le poncif « Les Français ont un problème avec l’argent », il n’y a pas que le budget des personnes précaires qui délie les langues. Sylvain Max : « On se compare socialement sans cesse, que ce soit pour se motiver ou pour se rassurer. Chaque budget fait office de comparaison avec le nôtre, celui de nos parents, de nos amis, de nos collègues… Ce n’est pas que pour les personnes précaires qu’on estime qu’on gérerait mieux leur argent qu’elles, même s’il y a sans doute un plus large phénomène avec elles. »

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Concernant l’allocation rentrée, Louis Maurin rappelle que malgré le fait qu’on entende certes beaucoup de fantasmes à ce sujet, cela reste de l’argent public : « C’est donc quelque part normal de demander des comptes et de vérifier à quoi cet argent sert, tout comme on demande des résultats au CICE par exemple. »

Le directeur de l’Observatoire des inégalités amène une dernière nuance : et si cette polémique annuelle n’était que peu partagée ? « Si les propos font tant parler, c’est que beaucoup les dénoncent. Je crois qu’il y a en réalité beaucoup de personnes en faveur de l’allocation rentrée et de la façon dont elle est utilisée actuellement, et que cette polémique est bien stérile ». Peut-être (et tant mieux), mais ça nous aura fait du bien de vider notre sac, en attendant août 2022.

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