Pour les policiers et criminels du monde entier, Pablo Escobar est une légende, un mythe. Dans les années 1980, ce baron de la drogue colombien a fait fortune en inondant les Etats-Unis de cocaïne. Mais pour Maria-Isabel Santos Escobar, il était un mari, un père pour Juan et Manuela.
Dix-huit ans après la mort du narcotrafiquant, elle a décidé de prendre la plume pour raconter les vingt ans passés à ses côtés. Un homme, assure-t-elle, qui n’est pas celui décrit dans les films ou les séries. De passage à Paris pour la promotion de La vie secrète de Pablo Escobar*, elle s’est confiée à 20 Minutes.
Pourquoi avoir voulu écrire ce livre ? Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre la plume 18 ans après la mort de votre mari ?
Cela fait 25 ans que j’ai envie d’écrire ce livre ! J’avais perdu de la force, je n’avais plus de voix, je ne voulais pas me sentir exclue de la société. J’avais besoin d’évacuer tout ce que j’avais vécu de lourd.
Commençons par le début. Quand et comment avez-vous rencontré Pablo Escobar ?
Je l’ai rencontrée à 12 ans, dans le quartier. C’était en 1972. Il y avait des bandes de garçons qui jouaient au foot dans la rue et il en faisait partie. Il avait une Vespa et il invitait les filles à faire un tour dessus. Il avait un certain succès. Mes parents ne voulaient pas que je fréquente cet homme de 23 ans. En 1973, il m’a offert un disque d’un chanteur espagnol. Et c’est là où j’ai commencé à sortir avec lui.
Par la suite, il est devenu l’un des plus importants narcotrafiquants au monde, un homme violent. Et vous ne vous êtes jamais rendu compte de rien ?
J’ai été mère à 16 ans. Pablo n’avait pas d’argent et pendant nos six premières années ensemble, on a vécu chez une belle-sœur. Il a commencé ensuite à prospérer, il passait pour un éleveur de bétails. Tout allait bien. Nous, les Colombiens, on n’avait pas accès à l’actualité, on ne se demandait pas d’où venait l’argent. Pablo avait une très bonne image. Quand il ramenait de l’argent, il me disait qu’il avait fait des affaires, ça n’allait pas au-delà de ça. Je m’en contentais. Mais je n’ai jamais vu de l’argent caché dans la bibliothèque, comme dans les séries de télévision.
Mais vous avez bien fini par découvrir que vous aviez une relation particulière…
Au début je n’ai rien vu car son nom était accepté socialement, et il avait des relations avec des politiques. On ne voit pas s’il y a un côté criminel. Lorsque Pablo a commencé à s’intéresser à la politique, le ministre de la Justice de l’époque lui a posé des questions sur l’argent qui servait à financer des campagnes. Il a répondu qu’il ne comprenait pas, que son argent n’était pas sale, qu’il n’était qu’un entrepreneur.
Et il ne vous a jamais dit d’où venait tout cet argent ?
Non non… Dans la société colombienne, les femmes sont à la maison, s’occupent de l’intendance, des courses, des enfants. Mais on ne participe pas à la gestion de l’entreprise. Les hommes en Colombie sont assez distants de leurs épouses.
Visiblement, vous ne le connaissiez pas si bien que ça…
J’étais triste de ne pas avoir une relation profonde avec mon époux, mais les amis qu’on avait, fonctionnaient pareil, il faisait sa vie et je faisais la mienne. Ça me pesait mais je ne pouvais rien faire. En définitive, on n’existait pas pour lui. Depuis sa mort, je réalise une enquête pour mon deuxième livre, sur les différents types de violence faites aux femmes.
Avez-vous été naïve ?
Oui, à 100 %. Je n’ai pas cerné la gravité de la situation, mais par manque d’informations.
Vous avez été obligé de fuir après la mort du ministre de la Justice colombien en janvier 1994 qui avait été tué. Durant dix ans, vous vous êtes cachés. Vous souvenez-vous du dernier coup de téléphone de Pablo Escobar ?
Pablo m’appelait souvent. Le dernier a eu lieu trois minutes avant qu’on annonce sa mort, en décembre. Je lui avais passé mon fils Sébastien qui lui avait demandé quand il reviendrait. Il lui a juste dit que tout allait bien se passer. Mon fils a écrit un livre qui parle de ça. Pablo a toujours dit qu’il ne se laisserait pas tuer, qu’il préférait se suicider s’ils l’attrapaient.
Quand il est mort, le gouvernement de Bogota nous a proposé de venir sur sa tombe. Mon fils ne voulait pas car il craignait qu’on se fasse tuer. Mais deux jours après, je me suis dit qu’il fallait qu’on y aille quand même. Une escorte militaire nous a accompagnés au cimetière où se trouvaient des milliers de personnes.
Son secret, c’était son empathie, la sincérité qu’il avait pour les classes sociales les plus humbles du pays. Il estimait que Medellín [où était basé son cartel] pouvait être un lieu pour que tout le monde puisse s’éduquer et se développer par le travail. Je ne sais pas s’il était conscient que ce qu’il faisait était mal, mais c’est vrai qu’il voulait faire de Medellín un lieu de prospérité.
Aujourd’hui, quels sentiments avez-vous pour lui ?
J’ai des sentiments contrastés. Il y avait deux Pablo. L’un était l’unique amour de ma vie, le seul homme que j’ai connu. L’autre était violent. Mais il ne l’a jamais été à la maison, je ne peux pas lui faire ce reproche. Tout ça me donne de l’inspiration car beaucoup d’hommes sont comme ça, la nouvelle génération a pris conscience qu’il ne fallait pas s’accoutumer à la violence. Mon projet, c’est de faire des conférences et créer une fondation pour que les femmes puissent se réinventer, car des violences contre les femmes, il y en a partout dans le monde.
*« La vie secrète de Pablo Escobar »*, de Maria-Isabel Santos-Escobar, éditions Albin Michel, 364 pages, 19,90 euros.
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